Homélie du troisième dimanche de carême
Par le Père
Serge M. AÏNADOU
Dans l’extrait
de l’évangile de ce troisième dimanche de carême, , Jésus combat, plus qu’une
simple croyance, une mentalité coriace : les catastrophes seraient une punition
divine. Un Dieu croquemitaine serait à l’affût de nos moindres faux pas pour
nous sanctionner durement. Le contraste entre ce « Dieu terroriste »,
créé de toutes pièces par nos propres projections déformées et le Dieu de la
miséricorde, pleinement révélé en la Personne de Jésus-Christ est d’autant plus
bouleversant qu’il s’agit ici d’une péricope lucanienne. Or, d’un point de vue
exégétique, nous savons combien l’évangéliste Saint Luc insiste sur la
dimension de la Miséricorde de Dieu. C’est-dire combien ce type de mentalité
faisant passer Dieu pour un Dieu vengeur à la manière des hommes est répandu au
temps de Jésus, déniant ainsi à l’homme tout sens de liberté responsable, face
même à la triste réalité du péché et de la mort. N’est-ce pas encore la
réaction spontanée de beaucoup quand leur arrive un ennui : « qu’est-ce que
j’ai fait au Bon Dieu? ». Que de fois n’attribuons-nous pas à Dieu une colère
qui provoquerait la mort d’un tel ou d’un tel autre, ou bien encore un tel
autre séisme à travers lequel on tient à lire l’expression d’un courroux divin…
D’un point de vue anthropologique, notre approche étiologique de la maladie en
Afrique, plus particulièrement au Bénin, en contexte de traditions, indique
déjà nettement l’un des facteurs sociologiques potentiels alimentant une telle
mentalité si enracinée en nous : il
n’y a jamais de décès sans une cause occulte ou divine… Et pourtant, le
Dieu que Jésus-Christ nous révèle en Sa Personne, à contrario d’une telle
conception, est ce Dieu essentiellement Amour qui, dans la première lecture,
prend pitié, face à la misère de son Peuple. Il ne s’en réjouit point, mais en
souffre.
Il est donc faux
et même blasphématoire de penser que les cataclysmes qui peuvent se produire soient
des punitions divines. Si nous tombons sur certaines révélations privées
présentant les cataclysmes naturels comme des punitions divines, tournons
tranquillement la page et poursuivons notre chemin. On ne peut lier péché et malheur. Cela n’a rien à voir.
Dans l'Evangile, Jésus commente deux faits divers atroces : le massacre d'un
groupe de Galiléens pendant qu'ils offraient un sacrifice et la mort d'un autre
groupe dans l'effondrement d'une tour, la tour de Siloé. « Pensez-vous
qu'ils étaient plus pécheurs que les autres », sous entendu « pour mériter
un sort si funeste ? » ? Et la réponse est claire. « Et bien, non. »
Mais le plus
souvent, face à la souffrance, ce qui vient plutôt à l'esprit c’est la négation
de Dieu ; s’établit alors la fausse équation : puisque le mal existe,
Dieu n'existe pas. Que dire à ceux qui sont ainsi blessés ou révoltés ?
Leur
proposer d’accueillir la Parole de la liturgie d’aujourd’hui. Voyez plutôt :
Moïse est un assassin fugitif, dont le peuple est maltraité. Et dans un buisson
qui brûle sans se consumer, Dieu se révèle à lui : « Je suis le Dieu
d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. J’ai vu la misère de mon peuple, oui je connais
tes souffrances. Je suis descendu pour te délivrer. »
De toute
évidence, le mal reste une énigme et seul Dieu a le pouvoir d’instaurer sa
Justice-Amour par le puissant moyen de la Conversion en réduisant son règne
dévastateur. Le mal peut nous fasciner. Au point de nous plonger dans un flot
impétueux de désespérance. Mais il ne peut jamais avoir le dernier mot, puisqu’il
n’est point de Dieu. Seul l’Amour est et demeurera, par delà, l’expérience du
mal sous toutes ses formes. D’une part, Moïse
ne s'est pas enfermé dans le cercle infernal et stérile d’une vaine justice
trop humaine, vengeant des frères maltraités et tués en Egypte. Dieu n’a point
besoin d’une telle forme de justice terreuse. D’autre part, il ne s’est pas
enfermé dans des explications possibles au malheur qui frappait son peuple. Sa
vie a changé lorsqu'il a détourné son regard de l'Égypte qu'il fuyait pour
s'attacher fermement à l'Invisible qui se manifeste dans le buisson ardent. De
même, notre vie est changée lorsque nous nous détournons du mal sous toutes ses
formes pour suivre résolument la voie de notre Sauveur. On le verra nettement
dans l’évangile de ce dimanche, le Christ n'est pas venu pour expliquer le mal,
nous enfermer dans des catégories de considérations, mais pour lutter contre lui et nous en
libérer.
Et ce projet
de notre libération, l’Apôtre Paul, dans la deuxième lecture, en retrace encore
l'histoire. Dans un langage hautement typologique, cette conquête de notre
libération par la grâce est comparée aux étapes de la vie chrétienne,
préfigurée dans l’Ancienne Alliance et définitivement accomplie dans la
Nouvelle: le baptême est comparé au passage de la mer rouge, l'eucharistie à la
manne, et le rocher qui accompagnait le peuple, devient un symbole du
Christ. Nous sommes ainsi persuadés que nos traversées du désert de l’épreuve
se font dans la confiance au Christ avec cette certitude qu’Il nous y
accompagne.
Jésus enfin
utilise l'image de la vigne et du figuier. Depuis Isaïe, les Juifs avaient
l'habitude d'entendre des histoires où leur pays et leur peuple étaient
comparés à une vigne que Dieu avait plantée pour qu'elle donne le meilleur vin
et qu'il menaçait d’arracher parce qu'elle ne produisait rien. Jésus ajoute à
la parabole traditionnelle un vigneron qui plaide pour la vigne. Signe très
fort de l’expression de la Miséricorde d’un Dieu qui ne se réjouit pas de la
mort du pécheur, mais qu’il se convertisse « Laisse-la encore cette
année, le temps que je bêche. » Le vigneron bien sûr, c'est ce Dieu
Amour qui, plutôt que de menacer, nous
met en garde lorsqu’il déclare : « Si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez... ». Non seulement il
plaide pour tous ceux qui sont dans le malheur mais il vient les rejoindre au
cœur de leur mal. La bêche qu'il plante en terre est sa croix. En se donnant
totalement, en s'offrant il reçoit la vie du Père. Et tous ceux qui souffrent
vivent déjà avec lui. Ne serait ce pas cela la conversion à laquelle il nous
invite ? Oser lui faire confiance dans nos épreuves et lutter de toutes
nos forces contre le mal et le péché, voilà ce qu’Il veut de nous.
Qu’il nous
en accorde les grâces et nous soutienne de son Eucharistie ! Amen
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