Ils sont nombreux, ces élus de Dieu à arpenter, en
ce jour de la solennité de la Toussaint, le chemin combien beau et abrupt des
Béatitudes, proclamées en ce dimanche de la 31ème semaine du Temps ordinaire de
l’année B.
Les saints, connus ou inconnus, que l’Église porte à
l’autel de la vénération en ce premier jour du mois de novembre, mois, du
reste, dédié aux âmes du purgatoire, ne sont point des illuminés, encore moins des exaltés, assoiffés de renommée et de
gloire. La route vers une gloire
dépouillée, transitant par l’expérience d’un déchirement de la croix, est
retracée par le Seigneur Lui-même dans l’Évangile de ce dimanche :
« Heureux les pauvres de cœur, car le Royaume
des cieux est à eux (…) Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous
persécute… ».
Le paradoxe, le voici : Ne sont heureux que
ceux qui accueillent, de bon gré, des situations devant rendre tristes et malheureux. A
l’intelligence profonde de cette belle page de l’Évangile, on peut voir dans
l’usage du mot « heureux » un double emploi: celui de « tenir bon face aux souffrances de
ce monde » ou bien, celui «d'être comblé, d'être épanoui… malgré l’hostilité des vents
contraires ». Mais serait-il
possible que l’on soit véritablement comblé ou épanoui lorsque l’on se met à
dire faussement contre vous toutes sortes de mal ?
Il y a forcément dans
la démarche que le Christ nous propose
en ce jour, à contrario à la logique activiste du monde, une nouveauté
qui n’est à la portée de personne. La
restauration première de l’homme déchu par le péché de l’orgueil vient de
commencer par ce beau discours des Béatitudes, une vraie feuille de route pour
tout baptisé, en devenir d’être un saint, véritable icône de Jésus.
Mais alors, faudrait-il admettre d’être indigent
devant le Seigneur, la Source de toutes grâces, avant de disposer son cœur à
l’accueillir? Celui qui pleure, à se référer aux Béatitudes, ce n’est plus ce faible d’esprit, attaqué
à tort par un Freud, ce lâche recherchant un refuge dans des illusions ou des
antalgiques spiritualistes. C’est plutôt l’affligé spirituel, ce Pierre, pécheur
devenu saint, qui se reconnait comme tel et prend conscience de sa
vulnérabilité à partir de plusieurs facteurs sociétaux. Vers ceux-là ou
celles-là, le Seigneur vient, les consolant, les guérissant, les encourageant.
Aucun homme, quel que soit le potentiel
intérieur prétendu dont il dispose, ne peut se consoler lui-même.
Cette vérité essentielle de la grâce qui nous vient
d’ailleurs, les Saints et saintes de Dieu, cette foule innombrable de
personnes, amoureuses du Seigneur, le savent, eux qui ont eu faim et soif de
Dieu. La Justice par excellence. Devenus vraies icônes de Jésus au milieu de
leurs frères, ils nous rappellent par ce chant des Béatitudes, voie certes décapante, mais royale
d’accès au Ciel, que ce n’est que dans nos faiblesses que se déploie la
puissance de la Miséricorde de Dieu. Dieu ne peut que rendre heureuxun pénitent au coeur du confessionnal, par exemple, et non pas le gonflé qui croit n'avoir pas besoin de Dieu et de son pardon. Car heureux est le pécheur converti, conscient de son rôle d'artisan de paix, de charité vécue au coeur d'un tissu relationnel en Église, en famille, comme au travail!
La course pour les saints, ces amis de Dieu, prend fin ici, à la porte des Béatitudes. La croix, à la
secuela Christi, fut portée par amour. Les
délices du Triomphe du bien sur le mal, de la vie sur la mort sont désormais
partagées avec Dieu. Et il convient que nous entrions déjà dans cette mystique, anticipée, d’une délice du combat contre le
péché et le mal par une vie de charité intense et d’ascèse où le jeûne
vécu ne sert plus seulement à forcer la main à tel ou à tel autre saint dont on veut la faveur ; mais
également à les imiter afin que Dieu, comme eux, nous possèdent entièrement.
Lorsque le Seigneur nous aura possédé, nous obtiendrons cette liberté
définitive des Béatitudes face à la corruption de l’orgeuil, et conséquemment
de ses corrolaires : volonté de puissance, refus de pardon, assauts
occultes du mal contre nous…
Bonne fête de la Toussaint ! L’Esprit-saint
nous y aide.
Père Serge AÏNADOU