L’Évangile de ce premier
dimanche de carême nous donne de contempler le Seigneur au désert, déjouant les
pièges du tentateur.
Tout d’abord, Il
est tenté par la faim. La vérité de l’Evangile se fait ici incisive, révélant
ainsi que le jeûne du Seigneur fut si vrai et si total qu’il ne souffre d’aucune
feinte possible. Il s’agit là d’une expérience véritablement humaine dans
laquelle le Seigneur rejoint profondément et intimement notre condition
humaine, à l’exception du péché. Plus exactement, cette expérience de notre
fragilité humaine pourrait se traduire par cette faim de Dieu que le Seigneur
assume ici… Nous entendons, par delà tous besoins physiques, ce désir profond d’être
possédé par un Dieu Amour, Fin ultime de cette inquiétude structurelle (
in-quiès) qui nous habite ; inquiétude que traduit si bien le docteur de
la grâce, Saint Augustin lorsqu’il écrit : « Tu nous as fait pour
Toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos ( inquiet), tant qu’il ne demeure
en Toi »
Et c’est si vrai
que notre cœur languit comme une biche, après l’eau vive. Mais cette tension de
notre cœur vers Dieu, le seule Source d’eau vive de notre âme, si elle n’est
pas suffisamment éclairée par la lumière de la Parole de Dieu, peut se tromper
sur sa fin réelle face aux nombreuses séductions du monde. Le démon, lui,
propose au Seigneur, puisqu’il est Fils de Dieu, de changer une pierre en pain.
Tentation de l’orgueil qui nous retourne à la déchéance d’Adam et d’Eve. Le
Seigneur, avec grande humilité, déjoue cette séduction du Malin, cette fameuse
provocation du « Si tu es le Fils de Dieu », se refusant ainsi toutes
démonstrations ostentatoires qui prouveraient Sa divinité: «Ce n’est pas
seulement de pain que l’homme doit vivre» (Lc 4,4), lui répondra-t-il.
En vérité, nous
touchons là le cœur de toute démarche de conversion, nous resituant face aux
vrais enjeux de la vie de foi opposée à toute formes de déification de soi et
les implications qui en relèvent comme la magie, l’occultisme et bien d’autres.
Seule l’humilité vient de Dieu.
Le lien entre
cette première tentation et la deuxième est plus que patent. Le Seigneur est
tenté ici par le pouvoir qui lui est proposé, un pouvoir sur tous les royaumes
de la terre. Mais pour cela, il doit se prosterner devant le démon comme, il peut
nous arriver de vouloir troquer notre habit de chrétien contre celui des
ténèbres au nom de la recherche du pouvoir, des honneurs et d’une gloire effritée.
Que de sectes tendent aujourd’hui un tel appât en échanges d’une vie de
foi piétinée et sacrifiée sur l’autel des orgies ? Quelle est notre
capacité à résister à tant de sollicitations ? Le Seigneur nous en indique
le chemin : «Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et
c’est lui seul que tu adoreras» (Lc 4,8). L’homme est créé de telle
manière qu’il est fait pour adorer. S’il n’adore pas Dieu, il finit par adorer
une réalité de ce monde, c’est à dire par consacrer toute sa vie à quelque chose
qui est autre que Dieu, quelque chose d’éphémère et de fallacieux : cela
peut être l’amour de l’argent, mais cela peut aussi être une idéologie, ou même
une personne, comme par exemple un acteur ou un sportif. Le curé d’Ars
disait : «Laisser une paroisse vingt ans sans prêtre : on y
adorera les bêtes». Il est donc important, dans notre vie, de vérifier que
nous sommes libres par rapport à toute forme d’idolâtrie.
Enfin, le démon
propose à Jésus de se jeter du sommet du Temple car Dieu s’est engagé à envoyer
ses anges pour qu’à la pierre, son pied ne heurte. Il est bien inquiétant, à
première vue, de voir le démon citer un passage des Saintes Ecritures, plus
précisément le psaume 91 pour séduire. C’est un indicateur qui alerte sur le
danger que constituent les faussaires de Dieu qui se font passer pour homme de
Dieu, ou pire, pour dieu, lui-même, débitant au passage des versets bibliques
comme cautions suffisantes pour crédibiliser leur forfait. Admirons la
lumineuse réponse de Jésus : «Tu ne mettras pas Dieu à l’épreuve»
(Lc 4,12). De toute évidence, il s’agit de la tentation la plus subtile, l’envers
même de la séduction d’une approche magique de Dieu, connexe au phénomène de l’émergence
de ce que nous appelons « Les faussaires de Dieu » : mettre Dieu
à l’épreuve, c’est à dire exiger de Dieu qu’il agisse pour nous de la manière
qui nous convient et quand cela nous arrange. Les grands pièges, liés à cette
forme de tentation, c’est d’exalter son moi, rejeter la croix, manquer de
discernement et se faire berner par les vendeurs d’illusions… Mais le Seigneur
voit bien plus loin que nous ne pouvons voir nous-mêmes. Ne pas mettre Dieu à
l’épreuve, c’est lui faire confiance dans tous les événements de notre vie,
même les plus douloureux. Sommes-nous prêts ?
.
En ce jour, nous
pouvons prier pour entrer totalement dans ce carême. Le but n’est pas de faire
une belle liste de résolutions, mais de demander au Seigneur ce qu’il attend
particulièrement de nous en cette année de la Miséricorde. Laissons-le-nous
parler, dans le silence et la prière.
Père Serge M. AÏNADOU
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